[M-E 002] The lords of Altamont > Lord have mercy

THE LORDS OF ALTAMONT
“Lord Have Mercy”
Fargo records 2005
style: Hard-Rock/garage




“C’est de la musique sauvage avec tout le confort moderne”, voilà ce qu’a dit un jour Debussy à propos du “Sacre du Printemps” composé par son vieux rival Stravinski, et si de sa part c’était plutôt à prendre comme un compliment, cette remarque n’en contient pas moins une certaine dose de sournoise ironie qui me plaît bien, je veux dire: on pourait coller cette phrase en sticker sur tous les CD qui sortent ces temps-ci, car même si l’aspect “sauvage” est bien mis en avant, il s’accompagne toujours de ce sacro-saint “confort moderne” qui en contredit l’authenticité, je ne parle pas uniquement de la qualité nickel de la production, mais de tout le reste, l’artwork, le façonnage du digipack, le timing des morceaux, les poses des musiciens sur les photos, le choix du titre, le calibrage du logo, l’adresse internet, les bonus, les clips, tous ces petits trucs sympas, propres et qui plaisent à tout le monde, c’est devenu tellement systématique, inévitable et surtout inoffensif: rien ne dérange, rien ne sort du cadre strict de la bienséance, et finalement la plupart des albums de metal qu’on voit apparaître sur les présentoirs sont enrobés de tant d’élégance fonctionnelle qu’on a bien du mal à comprendre où peut encore y résider une quelconque forme de sauvagerie. Ainsi les nouveaux opus d’Hypocrisy, de Ritual Carnage, ou de Nevermore, ne se démarquent guère du dernier Stratovarius ou After Forever, du nouveau Bon Jovi, ou d’une reédition remastérisée d’un Therion que tout le monde a déjà acheté cinq ans plus tôt et trois fois moins cher.

Je m’empêtre volontairement dans une introduction un peu longue pour vous parler d’un album qui justement n’est ni confortable ni moderne, mais sauvage sûrement. Oh ne croyez pas qu’il s’agisse d’une vieillerie garage-punk d’il y a trente ans retrouvée dans une brocante poussiéreuse, ou d’une démo à deux balles d’un groupe de ma banlieue, non, ça sort ces jours-ci dans les bacs et vous feriez peut-être bien de voir s’il est en vente chez votre bouclard habituel. Quant au groupe lui-même, ce n’est pas de la dernière pluie qu’il est tombé. Les LORDS OF ALTAMONT, menés par un certain Jake “Preacher” Cavaliere, bénéficient d’une réputation scénique assez considérable aux Etats-Unis, surtout dans le milieu des Hell's Angels et autres voyous à deux roues. Leur patronyme évoque de funestes souvenirs, en effet c’est à Altamont qu’à eu lieu le fameux concert qui a méchamment nuit à la carrière des Rolling Stones puisqu’un jeune spectateur s’y est fait trouer la peau par une balle d’assez gros calibre, c’était le 6 décembre 1969. Il semblerait que ce soit justement cette année 69 (marquée par les débuts des Stooges, de MC5, de Steppenwolf, monstres préhistoriques aux influences certaines...) que les Lords Of Altamont ont choisi comme bulle spatio-temporelle pour y forger leur son tellurique à l’abri du reste du monde. C’est un peu comme dans ces films d’horreur où l’on découvre de mystérieuses créatures, isolées géographiquement (sur une île ou au fond d’une caverne), qui n’ont pas suivi la logique darwinienne de l’évolution des espèces, mais sont restées à un stade plus ou moins primitif, ce qui ne les empêche pas pour autant d’être redoutablement intelligentes et parfaitement capable de s’adapter aux conditions de vie de notre époque. Ainsi on dirait que les Lords of Altamont,en émergeant à la lumière du jour, ont trouvé le moyen de rejoindre la route du Metal sans passer par la case Black Sabath (ou Iron Maiden ou Metallica), et sans avoir été au courant de l’existence de styles appelés “Thrash”, “Death”, “Speed” “Doom” ou autres. En gros, la seule chose qu’ils connaissent, c’est l’électricité, version pylone à haute tension. On est confrontés ici à une musique de damnés, d’exclus de la terre, jouée avec un matos aproximatif récupéré dans une décharge, des guitares sciées et boulonnées, bardées de fil de fer, des amplis soudés au butagaz, des tambours-de-guerre peaux-rouges, un orgue déglingué volée à une fête paroissiale... tout est bon pour faire un maximum de dégâts, et en ce sens les titres des morceaux nous renseignent clairement sur la philosophie du gang : “Action”, “Live Fast”, “Let’s burn”,” Tough as Nails”..., et ne parlons même pas de la pochette, qui annonce la couleur avec autant de crudité que de classe. Mais ce ne sont pas que des coups de chaîne à gros maillons qu’on se prend dans la gueule à chaque morceau, mais aussi des haches rouillées, des hallebardes crénelées, des enclumes chauffées à blanc, des volées de clous, des marmites entières de plomb fondu, des lames de scie de bûcheron et des vrilles géantes qui vous forent obsessionellement une goulotte à travers le cerveau, par laquelle s’engouffre une avalanche de riffs graissés et noircis dans le barbecue de l’enfer. La voix du “Preacher” est celle d’un crapaud hargneux, shooté à la méthédrine, qui chevauche le destrier de la mort au milieu de ses troupes jamais fatiguées, jamais rassasiées. De tous côtés ça charcle et ça saigne, ça bastonne en crescendo, avec une batterie branchée directement sur la fréquence du tonnerre. “Cyclone” (qui porte bien son nom) et “She Cried”, sont des hymnes fracassants et groovy qui déboulent comme des trains à vapeur emballés, revenus du fond des âges, avec la basse qui martèle les secondes comme le compte à rebours vers l’apocalypse. “Buried from the Knees Down” ou “Project Blue” sont tout aussi ravageurs, et en même temps déstabilisant de simplicité: c’est rien que du Rock’n’Roll brut, pratiqué à mains nues, comme les ancêtres l’enseignaient dans les caves, au coeur de la nuit. L’esprit des Animals, des Seeds, de Blue Cheer, de Grand Funk Railroad, ou des Dictators semble légèrement planer aux alentours comme une poussière d’ossements broyés. C’est surtout la présence fantômatique de l’orgue (notamment sur “Velvet”) qui crée cet effet de malaise d’outre-tombe, de même que le son de certains soli de gratte hyper-saturés dans l’aigü comme on n’en a plus entendu depuis la mort de Fred “Sonic” Smith. N’oublions pas que nous sommes ici en présence de bikers, et pas des moindres, et que ces gens-là ont dans le sang l’art de la customisation: avec un cadre de vieille Harley et des pièces détachées de n’importe quoi, ils vous fabriquent une oeuvre d’art chromée jusqu’au bout des écrous. Ainsi le dernier morceau “Time has come Today” est une reprise musclée d’un standard rythm’n’blues des Chambers Brothers, ce qui montre qu’on se situe quand même à un autre niveau que le Hard’n’Roll poilu et grivois des Nashville Pussy, ou les trépignements poussifs de Black Rebel Motorcycle Club, ou les sempiternelles imitations Motorhead/Ramones d’une chiée de groupes de frimeurs qui défilent à la une des mags de Rock. Les Seigneurs d’Altamont n’ont rien a faire des modes, ils portent aux pieds toujours les mêmes bottes, épaisses et lourdes, avec des semelles sculptées comme des pneus de camions. Chaque matin ils y passent une couche de cirage avant de reprendre la route, et lorsqu’ils arrivent dans une ville ou un village, les habitants tombent à genoux, font le signe de croix en criant: “Lord Have Mercy”, tandis que les flammes commencent à s’élever autour d’eux, et que les grosses chaînes tenues à bout de bras se mettent à tournoyer au milieu des étincelles et des mouches affolées... C’est encore le label Fargo qui nous a ramené ce nouveau fléau en France après déjà pas mal d’autres surprises (cf. Mother Superior). Et puis vous savez quoi ? Il n’y a pas de plage multimédia en fin d’album. Exit le confort moderne!

NB: La phrase de Debussy citée au début provient de sa “correspondance complète” publiée récemment chez Gallimard, ça doit faire dans les1400 pages. A moins d’avoir une double fracture de la jambe et sa télé en panne, l’achat de cet ouvrage n’est pas indispensable pour passer l’hiver.

Et voilà, ils arrivent:

30/01 TOULOUSE (Ambassade)
31/01 BORDEAUX (Son'art)
01/02 ANGOULEME (Nef)
03/02 RENNES (Ubu)
04/02 NANTES (Olympic)
05/02 PARIS (Nouv.Casino)
07/02 STRASBOURG (Laiterie)
09/02 LYON (Transbordeur)
10/02 BELFORT (Poudrière)
11/02 CLERMONT FERRAND (Coop.deMai)
13/02 MONTPELLIER (Rockstore)
14/02 MARSEIILE (Poste à galène)
20/02 ALENCON (Luciole)

Vous voilà prévenus.

Oulala mais ça semble super bon ce groupe !!! Est-ce qu'on peut faire un bref rapprochement avec GuitarWolf puisque ça semble être très garage ? Mais au vue de ta chronique leur état d'esprit semble beaucoup plus dur ! En tous cas merci à toi Kapten Dong de nous faire découvrir des disques sortit des sentiers battus !