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“L’autre vie de Brian”
par GRAHAM PARKER
Points Roman N°P178
(7,50 €)



Joe Jackson et Elvis Costello lui ont ravi la place de chanteur anglais cool des années 80, mais pour ceux qui connaissent, Graham Parker était vraiment bon. J’avais lu une interview de lui dans je ne sais plus quel journal, où il racontait la galère de ses débuts, il faisait plein de petis boulots pour survivre, genre manutentionnaire dans une minable usine de gants, puis au fond d'un laboratoire où il devait nettoyer les cages des souris et des cochons d’inde, ou encore vendeur de cacahuètes dans un parc. C’est là justement, après être resté dehors toute la journée sous une pluie glaciale, que sa voix s’est brusquement bloquée en mode enrouée. Il est donc devenu chanteur comme par miracle, et a sorti une vingtaine d’albums, la plupart géniaux et introuvables où, accompagné de son groupe The Rumour, il hurle une sorte de Soul intimiste matinée de Rock péchu à classer quelque part entre Van Morrison et Bruce Springsteen. Un peu aigri par son évident manque de succès, et ayant atteint un âge proche de celui de la retraite, il s’est mis à écrire des bouquins, le premier “Pêche à la carpe sous valium” est un recueil de nouvelles sorti en 2003, et le second est ce roman récemment paru que je viens de lire en me fendant la gueule à toutes les pages. Car oui, Graham Parker a vraiment une sacrée dose d’humour, et même s’il relate ses déboires de musiciens de Rock d’une façon un peu détournée (le personnage s’appelle Brian Porker, il suffit juste de changer quelques lettres pour que ça devienne Graham Parker), ce n’est en aucun cas complaisant où style “je raconte ma vie de Rock Star”. Au contraire, c’est plutôt sur un mode burlesque total que Parker décrit l’enfer de cette existence marginale, avec les tournées qui virent aux cauchemars, les managers incapables, les producteurs véreux, les musiciens mongols. Entre les avions infernaux, les hotels mortels, les salles de concerts à moitié vides et les bureaux où se terrent les représentants de sa compagnie de disques, notre héros va fouiner sans trop comprendre ce qui lui arrive, mais en aposant sur toute chose un regard lucide et impitoyable, énormément drôle aussi. Exemple, les chroniques de son dernier album: “Il était pratiquement impossible de les distinguer les unes des autres, comme si elles avaient été composées vite fait dans le charnier d’une entreprise de rock par les carcasses de scribes dont les déclarations idiotes avaient été réglées longtemps d’avance selon une logique présomptueuse. Ni franchement mauvaises ni bonnes, c’était du verbiage situé dans l’hinterland réservé aux artistes dont l’impact s’était depuis longtemps dilué dans la féroce ruée vers le sang neuf...” Et ce n’est qu’un exemple de sa plume cynique et tout à fait réaliste, surtout quand son planning de tournées l’entraine dans la fournaise tropicale et pluvieuse de la Tasmanie ou dans le vide gelé du fin fond du Groenland, on peut être sûr que le voyage sera plus que mémorable et la logistique désastreuse, et pourtant l’attitude Rock survit en toutes circonstances, accompagnée de cet humour british et bien sarcastique dont Graham Parker fait grand usage avec un talent surprenant de véritable écrivain digne de ce nom. De toute manière, le micro sur la couverture en témoigne, c’est du vécu à 100 % mais dans un esprit extralucide qui va complètement à l’inverse de la tendance actuelle, où on voudrait nous faire croire que la vie est belle et que tous les chanteurs anglo-saxons circulent en limousine de vingt mètres de long et que c’est normal. Bref, ça fait du bien d'avoir sous la main un autre point de vue, et si vous n’arrivez pas à dormir, ce qui est mon cas, ou si vous avez envie de passer un moment exceptionnel quand le temps est affreux dehors et que c’est dimanche et que votre petite amie a autre chose à faire, genre laver les chaussettes, alors vite jetez-vous sur un canapé avec un petit ballon de 12,5° et ce bouquin à fond Rock’n’Roll que votre entourage n’hésitera pas à vous chouraver dès que possible.

Kaptendong a écrit:“Il était pratiquement impossible de les distinguer les unes des autres, comme si elles avaient été composées vite fait dans le charnier d’une entreprise de rock par les carcasses de scribes dont les déclarations idiotes avaient été réglées longtemps d’avance selon une logique présomptueuse. Ni franchement mauvaises ni bonnes, c’était du verbiage situé dans l’hinterland réservé aux artistes dont l’impact s’était depuis longtemps dilué dans la féroce ruée vers le sang neuf...”

Tiens... le monsieur a l'air de bien connaître nos courageux webzines metal