[P-B 002] Roky Erickson > Gremlins have pictures

ROKY ERICKSON
“Gremlins Have Pictures”
Rikodisk 2005
Style: à la masse



Attention ce mec est une légende vivante, même s’il n’en a pas l’air comme ça: sur la photo de la pochette il ressemble tout à fait au clochard qui traîne généralement devant le supermarché de mon quartier avec son chien miteux au bout d’une ficelle, sa bouteille de Kronenbourg consignée et sa gamelle sale dans laquelle je laisse parfois tomber discrètement quelques pièces de monnaie en me disant que si la vie n’a pas été tendre avec ce gars-là, elle lui donne quand même encore la possibilité de demeurer un être humain à part entière, ce qui n’est malheureusement pas le cas de Roky Erickson, depuis que, selon ses dires, un martien a élu domicile dans son corps. Sachant cela, des maisons de disques à l’honnèteté douteuse n’ont bien sûr pas hésité une seconde à sortir sous le nom de Roky Erickson tout un tas d’albums de mauvaise qualité, bootlegs pourris et compilations tordues, sur les ventes desquellles notre pauvre Roky, diagnostiqué “schizophrenic paranoid”, n’a pas touché un cent. Heureusement une association de soutien (TrustRokyTM) a été crée par son frère Sumner Erickson (qui joue du tuba dans l’Orchestre Philarmonique de Pittsburg), de manière à s’assuer que les nombreux enregistrements encore en circulation ne soient plus exploités impunément. Ainsi cet album “Gremlins have Pictures” est approuvé à 100% par TrustRockyTM, ce qui permettra à son bénéficiaire de considérer un pourcentage du prix de vente comme une source probable de revenus, ce qui n’est pas à négliger pour quelqu’un qui doit vivre avec les 200$ mensuels de l’aide sociale et bénéficier d’une aide psychologique au moins équivalente à celle qu’on fournit aux familles des victimes de serial-killers ou aux rescapés d’attentats terroristes dans les transports en commun.

Longtemps avant d’en être arrivé là, Robert Kynard Erickson était un joyeux jeune homme qui chantait et jouait de la guitare dans l’un des plus grands groupes psychédéliques de la fin des sixties, les 13th FLOOR ELEVATORS, sur lequel je ne m’étendrai pas, (tous leurs albums sont chroniqués chez SlowEnd, vous n’avez qu’à aller y jeter un coup d’oeil), car j’avoue que je préfère nettement ce que Roky a fait après le split du groupe, ou plutôt devrais-je dire: après qu’il ait fumé son dernier joint et qu’un gros flic texan ait décidé de le coffrer pour possession de substances illicites, et que son avocat lui ait conseillé de se faire passer pour mentalement dérangé (style Jack Nicholson) de manière à voir sa peine de prison transformée en un joli séjour au Rusk State Hospital for the Criminally Insane, où pendant trois ans il a eu droit à la totale en matière de traitements (Thorazine, électrochocs...), ce qui ne l’a pourtant pas empêché d’écrire une centaine de chansons sur place avant d’être libéré, soi-disant guéri, mais avec une case en moins. Ses vieux amis qui l’attendaient à la sortie ont d’ailleurs rapidement compris que ce n’était plus le même homme: il n’arrêtait pas de parler de gremlins, d’extra-terrestres, de vampires et de chiens à deux têtes, et la manière dont il évoquait toutes ces créatures ne laissait pas planer le moindre doute sur le fait qu’il les eût rencontrées pour de vrai quelque part...

Le plus extraordinaire c’est qu’il a quand même réussi a remonter un groupe, et même plusieurs qui tenaient tout juste debout avant de splitter au fur et à mesure (the Explosives, the Resurrectionnists, Bleib Alien, the Nervebreakers, et finalement the Aliens), avec lesquels il a fait des tas de concerts, enregistré des singles et même un album sur une major (CBS), qui est introuvable actuellement mais qu’on espère voir reédité de toute urgence grâce aux efforts de TrustRockyTM. En attendant il va falloir se contenter de celui-ci, qui récapitule assez bien toute cette période prolifique (entre 75 et 87) et nous donne un bon apperçu de l’impressionnante énergie créatrice du bonhomme, à travers quatorze morceaux enregistrés pour la plupart en live avec des line-up différents, et certains où il est seul avec une guitare en bois et un micro. “Night of the Vampire”, “Cold Night for Alligators”, “Burn the Flames”, “I’m a Demon”... les titres sont assez clairs en ce qui concerne l’état mental de Mr Erickson à ce moment-là, mais alors qu’on s’attend au surgissement d'une musique sinueuse et complètement déjantée à la Zappa ou Fantomas, on se trouve au contraire en présence de morceaux furieusement Rock et parfaitement équilibrés, dont certains cassent vraiment la baraque. Avec des riffs crus comme un steak tartare et trois fois rien de soli de guitare, une batterie spectrale et une basse lacustre, c’est joué sans précautions et dans un esprit limite garage, allant tellement droit à l’essentiel que ça relève du phénomène, mais on y sent palpablement une atmosphère d’étrangeté, de mysticisme et de poésie sombre qui impose le respect. Et ce qu’on entend surtout, c’est la voix de Roky Erickson, totalement indescriptible, ou alors essayez d’imaginer Ozzy qui aurait ingurgité quelque chose comme 10 litres de chlore et un hérisson vivant.

Pour peu qu’on prête un peu d’attention aux lyrics, on a de quoi être impressionné par le contenu de ses chansons, dont certaines se réduisent à deux ou trois phrases répétées avec une insistance maladive “Before in the beginning there was man... before in the beginning there was man...”, ou qui contiennent des noms propres inconnus “Eckstein, Eckstein, Eckstein...” , des dates farfelues “May9.1976, Satan came to Earth...” et d’étranges formules mathématiques (je traduis: “La racine carrée de zéro est quelque chose de plus petit que zéro, qui continue a devenir plus petit...”), tandis que d’autres sont beaucoup plus élaborées, formant de véritables mini-histoires de science-fiction où il est question du Triangle des Bermudes, d’Abraham Lincoln, de la “bête” de l’Apocalypse (“The Beast is coming to your world...”) ou d’un certain John Lawman (“I kill people all day long, I sing my song, ‘cos I’m John Lawman...”), et celle qui s’intitule “The Interpreter” est vraiment très mystérieuse, toute en éllipses et en points d’interrogations (“The interpreter, where is he now ? Will he burn like the devil, will he eat my skull ? Will he fill up your shoe, like no other one can do ? Will he hand you his car, will he hand you his keys ? Will he worldless shine like the devil, would he leave Moscow ?...), cette chanson possède en plus de son atmosphère intriguante une mélodie géniale, comme d’ailleurs la plupart des morceaux, ce qui tendrait à prouver que les électrochocs n’ont pas trop bousillé ses facultés de composition, et la troublante intensité qui se dégage des titres accoustiques confirme qu’il appartient vraiment à l’espèce singulière de ces chanteurs un peu détraqués mais au talent hypnotique dont le paysage musical foisonne de moins en moins. On notera aussi une reprise de “Heroin” du Velvet Underground, qui perd ici l’aspect glacial et blafard qu’imposait la voix de Lou Reed sur la version originale pour devenir curieusement quelque chose de beaucoup plus violent, voire effrayant, de même que ce morceau d’1 mn 30 où Roky chante: “I’m a demon and I like Rock’n’Roll...”, ce que bien sûr personne ici-bas n’oserait contester.

Mais quand on n’a pas le look de Marilyn Manson, on a beau être un grand allumé de l’encéphale, on ne risque pas tellement de motiver les medias à se pencher sur son cas, ce qui fait que le brave Roky n’a toujours rencontré qu’un succès confidentiel, et même si des groupes aussi connus et diversifiés que R.E.M., ZZ Top, Jesus & Mary Chain, The Butthole Surfers... se sont retrouvés sur un tribute à Roky Erikson (Intitulé “When the Pyramid meets the Eye “), les année 90 ont été plutôt dures pour lui. Un job de distributeur de courrier qui a mal tourné (il gardait les lettres chez lui et les scotchait aux murs) l’a reconduit à l’asile, et quand il en est sorti, ses dépenses et dettes en matière de santé n’ont pu être règlées qu’à l’aide de son frangin et de l’asso qu’il a montée (et parmi ses membres on trouve entre autre Henry Rollins et le cinéaste George A. Romero), d’autant plus qu’il commençait à rouler sérieusement sur la jante, vivant constamment entouré de dizaines de télés allumées en permanence. Ce n’est que très récemment qu’ont couru quelques rumeurs plus ou moins fondées au sujet d’un éventuel et discret retour à la scène... Qui sait s’il ne nous réserve pas encore quelques surprises, à moins qu’il ne finisse par se barrer définitivement de la planète pour aller rejoindre là-haut ses potes les martiens...


NB. Ci-dessous l’artwork de l’album enregistré avec The Aliens (vinyle sorti en 1981)

vraiment pas mal ce truc, je connaissais pas, vais essayer de dégoter un vieux disque, j'ai pour le moment testé "I Think Of Demons" pour me faire une idée et je me le suis écouté en boucle au boulot! bonne découverte donc!

ahah je m'etais justement demandé en stage avec un patient psychotique ancien musicos, s'il n'y avait pas moyen qu'il fasse quelque chose d'intéressant

Je vais tester ça, ptet que ça sera genial et j'enregistrerai