[M-E 002] Poco > Legend

POCO
“Legend”
MCA 1978
Style Country Rock



Alors qu’Hollywood vient de payer son dû à Johnny Cash (voir le film “Walk The Line” actuellement sur les écrans), le moment est venu semble-t-il de se rendre compte que la Country n’est pas forcément une musique de péquenots puant la bouse de vache ou de camionneurs syndiqués carburant à la bière Budweiser et aux cacahuètes salées, mais qu’elle peut très bien véhiculer un dangereuse cargaison de sensibilité humaine si elle tombe entre les mains d’un aventurier ténébreux armé d’une gratte folk, et lorsqu’en outre elle fornique avec le Rock, ce qui en résulte est loin d’être complètement bâtard. Ainsi le groupe POCO, constitué d’ex-Buffalo Springfield, était parvenu a mélanger avec beaucoup de classe les archétypes instrumentaux d’une Country traditionnelle (steel guitar, banjo, violon, orgue Hammond, chant choral, batterie légère, basse lourde) et des sonorités extrèmement modernes, électriques et sophistiquées. Si l’on y perçoit par moment des accents West Coast rappelant les Eagles ou Steely Dan, en moins commercial quand même, on y décèle aussi une vigueur campagnarde propre à certains combos sudistes durs style Marshall Tucker Band, et surtout cette volonté de traduire musicalement une impression de liberté, d’insouciance et d’errance tranquille à travers les grands espaces sauvages du continent de leurs ancêtres les pionniers. Nous sommes ici en plein dans l’Amerique de Jimy Carter, la guerre du Vietnam commençait à n’être plus qu’un mauvais souvenir et celle du Golfe ne pointait pas encore son horrible nez à l’horizon, la tendance était pour ainsi dire au retour à la nature: cheveux longs, vestes à franges, solidarité avec toutes sortes de tribus indiennes, fumage de kilos d’herbe autour des barbecues du samedi soir... il y avait une vie en dehors des grandes villes, et musicalement MTV n’imposait pas encore sa loi. Les chansons de Poco parlaient du vent, de la lune, de nuits pluvieuses et d’amour fou. “Crazy Love” est une balade accoustique assez étonnante du fait qu’elle tient la route avec pas grand chose, une suite d’accords en picking qui augmentent d’intensité au fur et à mesure de leur répétition et un refrain qui n’en est pas vraiment un mais qui s’entoure de backing vocals parfaitement élégants et harmonieux. On appréciera également la soudaine intervention d’un saxophone sur “Heart of the Night”, morceau d’une richesse exemplaire, et la précision du riff de “Legend” avec son tempo de chevauchée héroïque entrecoupé de soli de guitare assez subtils. Dans l’ensemble il n’y a pas grand chose à rejeter sur cet album rare, vieux et beau, dont la dynamique tonale correspond bien à l’artwork de sa pochette, ce cheval stylisé à l’oeil écarlate, saisi en pleine course et réduit à la simple expression de son mouvement, avec tout autour ce grand vide blanc, immatériel et silencieux, qui en appelle aux rêves et aux illusions, comme la dernière page vierge de l’Histoire de l’Amérique avant qu’elle ne se noircisse des signes d’un avenir désastreux.