[M-E 002] The Jayhawks > Hollywood town hall

THE JAYHAWKS
“Hollywood Town Hall”
Def American/ Columbia 1992
Style: alternative country-rock



L’hiver dans le Minnesota: un vent glacial qui descend du Pôle et traverse les Grands Lacs pour venir balayer les plaines à l’Ouest de Minneapolis, où le reste de l’année s’étalent à perte de vue les immenses champs de maïs exploités par la firme Green Giant. Les derniers grains échappés des rouages des moissonneuses-batteuses ont depuis longtemps fini dans l’estomac des corbeaux, et maintenant ces noirs volatiles ont tellement faim qu’ils se rabattent sur les morceaux de pneus de camions explosés traînant au bord de l’autoroute 90, large ruban grisâtre qui fonce vers le Wyoming à travers un no man’s land immaculé. Cette persistance lascive de l’hiver marque profondément toutes les chansons de cet album des Jayhawks, qui n’a pourtant rien d’atmosphériquement froid, au contraire, on y entre comme dans un pullover en laine un peu usé, un de ceux qu’on remet fidèlement chaque hiver et qu’on a parfois prêté à des copines frileuses qui y ont laissé deux ou trois cheveux à la douceur troublante et un parfum d’irrécupérable volupté. “I was waiting for the sun...”, ce sont les premiers mots qu’on entend, et cela sonne comme le début d’une histoire, de celles qui ne finissent pas forcément bien mais dont les réserves d’émotion qu’elles détiennent finissent par provoquer quelques frissons de malaise. Mark Olson, le chanteur des Jayhawks, est de cette race de songwriters modestes qui ne vont pas vous ennuyer avec leurs états d’âmes version déprime chronique, mais plutôt vous mettre dans un état de réceptivité vibrante à tout ce qui donne à la vie la dureté d’un os. “God of the rich man ain’t the god of the poor...”, c’est presque du blues, mais sans son costume du dimanche ni son rythme de pompe à bière. Ici on serait plutôt dans une ambiance de lendemain de fête, sur la route du retour, avec au programme un trajet tellement morne qu’il vaut mieux essayer de pioncer. Dans le livret il y a la photo d’une bagnole qui ne paye pas de mine, mais dont on devine qu’elle a dû en voir des hivers et qu’elle continue d’attendre des jours meilleurs. Il y a aussi des plans rapprochés sur le matos, une pédale fuzz, un ampli Fender Deluxe, un harmonica Marine Band et quelques câbles enchevêtrés, ça donne un bel aperçu de ce qu’on peut entendre chez les Jayhawks: un minimum vital de Rock pour la route, dix chansons tranquilles à fredonner sur la banquette arrière en surveillant le paysage. “This lifetime’s easy, way back home there’s a funeral...”, on se trouve ici sur le terrain de la poésie romantique à la Dylan, mais c’est plutôt à Neil Young qu’on pense d’abord, à cause du son éraillé des grattes et des accents champêtres de certaines ballades (“Crowded in the Wings”, “Nevada, California”), les morceaux plus rapides rappellent quant à eux des groupes comme Soul Asylum ou Big Star, les Meat Puppets ne sont pas loin non plus. Guère d'ultraviolence donc, et encore moins de grosse lourdeur, mais plutôt une musique aux joues creusées, qui s’infiltre comme le vent et dont les refrains neigeux luisent brièvement sous le soleil couchant des mortifiantes fins d’après-midis d’hiver, tout là-bas dans le Minnesota.