[M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
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NICK CAVE AND THE BAD SEEDS
“Murder Ballads”
Mute Records 1996
style: unique
Si vous avez l’intention d’aller passer Noël dans une cabane au fond des bois, vous avez le choix: soit télécharger 500 000 titres en mp3 sur votre mobile 3G, soit n’emporter avec vous qu’un vieux CD, mais un bon. Un de ceux qui vous font oublier où vous êtes, qui vous êtes, quelle heure il est, et pourquoi il y a tous ces corbeaux dehors. Choisissez par exemple “Murder Ballads”, au moins vous serez tranquilles pour un bout de temps, et puis vous vous sentirez en bonne compagnie, car il y a du beau monde sur cet album, des belles voix plutôt. J’avoue que j’ai toujours trouvé PJ Harvey affreusement vulgaire et que j’ai une tout aussi piètre estime de Kylie Minogue, mais en les entendant chanter ici, j’ai dû sévèrement réviser mon jugement. On peut se demander quel éclair de génie a encore traversé la sombre cervelle de Nick Cave pour lui souffler ce choix en ce qui concerne les “guest stars”, en tout cas il ne s’est guère planté, car la délicatesse veloutée de ces voix renforce encore la pernicieuse inquiétude que produit la sienne. Celle-ci n’a d’ailleurs pas tellement changé depuis l’époque où il n’était encore qu’un hirsute junkie australien mugissant sa douleur dans un groupe nommé Birthday Party, gros cynisme déjà, mais l’eau ayant coulé sous les ponts et niqué la cave, la période Bad Seeds a été suffisemment prolifique pour occulter tout ça et faire grimper le sinistre chanteur sur l’escabeau des songwriters les plus hantés. Cet album est en ce sens copieusement infesté, encrassé, obscur jusqu’à la démence dans les détails: des minuscules notes de piano qui ne devraient pas être là, renversées comme des clous, recouvertes de pétales de roses humides, puis déplacées par des colonies de souris et de vermine, de l’orgue bastringue de cirque ambulant, avançant dans la boue sous l’orage, derrière un choeur de nains battant piteusement tambour et cymbales, déployant plus d’énergie qu’il n’en faut pour accompagner de si lugubres ritournelles. L’horreur gothique en haute définition, même pas moyen de donner un nom à tout ça, le style Nick Cave, mélange de Jazz, de Gospel, de Folk, d’hymnes religieux et de chansons de cabaret, romances maniaques et maudites qui vous foutent la chair de poule quand ça s’arrête. Mais ce n’est même pas cela qui saute aux oreilles quand on se plonge dans l’album, car à moins de ne pas comprendre un traître mot d’anglais, on est immédiatement happé par les histoires. Les fameuses “ballades” du titre, comme on dit “la ballade des pendus” de Villon, qui vous introduisent directement dans l’univers du père Lacave, c’est à dire dans sa tête de poête malade: “Joy had been bound with electrical tape / In her mouth a gag / She’d been stabbed repeatedly / And stuffed into a sleeping bag...”, et ce n’est que le début, rien n’a été laissé au hasard dans ce mini-catalogue du crime en dix leçons, chaque chanson amorçant le malaise de la suivante et leurs mélodies bancales distribuant des frissons à qui n’en a pas eu son compte. Qu’est-il arrivé à Henry Lee, à Elisa Day, à Mary Bellows, aux habitants de la petite ville de Millhaven ou aux clients de l’O’Malley’s Bar ? Juste de quoi faire la une des journaux de province, et entretenir l’angoissse dans les petites bourgades du Midwest: “I’ve lived in this town for thirty years / And to no-one am I a stranger / And I put new bullets in my gun / Chamber upon chamber...” Le climat fait toujours penser au film “DeadMan” de Jim Jarmush, et aussi à ces peintures régionalistes des années 1930, notamment celle de Grant Wood, où l’on voit un vieux couple immobile dont l’homme tient une fourche, cette mystérieuse tension dans le regard... On se souviendra aussi que Nick Cave a écrit un livre “Et l’Ane vit l’Ange”, roman caverneux et desespéré dévoilant les affres d’une Amerique à la Hawthorne, décor en noir et blanc où s’enlisent des hommes aux traits ravagés, des femmes superstitieuses et des bâtards nés sous le signe du péché, personnages qui vacillent au milieu des chuchotements de haine et des incantations religieuses à la dureté inaltérable, ce même ton cru et tranché que le chanteur emploie pour pronnoncer chaque mot du début à la fin de cet album, avec à peine parfois un soupir moqueur ou un vague reniflement de lassitude, noyés dans l’écho des instruments de la troupe, les guitares de Blixa Bargeld et de Mick Harvey, le piano et l’orgue de Conway Savage, la rythmique habituelle des mauvaises graines et les vocaux effrayants du Moron Tabernacle Choir. Ajoutons à cela les invité(e)s de marque dont je parlais déjà plus haut, qui viennent illuminer de leurs petites bougies une obscurité lourde de fond d’église, même Shane Mc Gowan, l’ivrogne chanteur des Pogues, vient dégoiser sur un couplet de “Death is not the End”, rengaine signée Dylan et qui sonne ici comme le plus beau des chants d’enterrements, le requiem des pauvres, concentré d’émotion funéraire qui ramène les larmes au rang de l’indécence. La boule dans la gorge et le regard perdu dans un vide grandissant, vous n’aurez envie que de repasser l’album encore une fois, juste pour fissurer le silence et rythmer une nuit trop longue dont les heures froides se mélangent aux cendres des berceuses brûlées.
“Murder Ballads”
Mute Records 1996
style: unique
Si vous avez l’intention d’aller passer Noël dans une cabane au fond des bois, vous avez le choix: soit télécharger 500 000 titres en mp3 sur votre mobile 3G, soit n’emporter avec vous qu’un vieux CD, mais un bon. Un de ceux qui vous font oublier où vous êtes, qui vous êtes, quelle heure il est, et pourquoi il y a tous ces corbeaux dehors. Choisissez par exemple “Murder Ballads”, au moins vous serez tranquilles pour un bout de temps, et puis vous vous sentirez en bonne compagnie, car il y a du beau monde sur cet album, des belles voix plutôt. J’avoue que j’ai toujours trouvé PJ Harvey affreusement vulgaire et que j’ai une tout aussi piètre estime de Kylie Minogue, mais en les entendant chanter ici, j’ai dû sévèrement réviser mon jugement. On peut se demander quel éclair de génie a encore traversé la sombre cervelle de Nick Cave pour lui souffler ce choix en ce qui concerne les “guest stars”, en tout cas il ne s’est guère planté, car la délicatesse veloutée de ces voix renforce encore la pernicieuse inquiétude que produit la sienne. Celle-ci n’a d’ailleurs pas tellement changé depuis l’époque où il n’était encore qu’un hirsute junkie australien mugissant sa douleur dans un groupe nommé Birthday Party, gros cynisme déjà, mais l’eau ayant coulé sous les ponts et niqué la cave, la période Bad Seeds a été suffisemment prolifique pour occulter tout ça et faire grimper le sinistre chanteur sur l’escabeau des songwriters les plus hantés. Cet album est en ce sens copieusement infesté, encrassé, obscur jusqu’à la démence dans les détails: des minuscules notes de piano qui ne devraient pas être là, renversées comme des clous, recouvertes de pétales de roses humides, puis déplacées par des colonies de souris et de vermine, de l’orgue bastringue de cirque ambulant, avançant dans la boue sous l’orage, derrière un choeur de nains battant piteusement tambour et cymbales, déployant plus d’énergie qu’il n’en faut pour accompagner de si lugubres ritournelles. L’horreur gothique en haute définition, même pas moyen de donner un nom à tout ça, le style Nick Cave, mélange de Jazz, de Gospel, de Folk, d’hymnes religieux et de chansons de cabaret, romances maniaques et maudites qui vous foutent la chair de poule quand ça s’arrête. Mais ce n’est même pas cela qui saute aux oreilles quand on se plonge dans l’album, car à moins de ne pas comprendre un traître mot d’anglais, on est immédiatement happé par les histoires. Les fameuses “ballades” du titre, comme on dit “la ballade des pendus” de Villon, qui vous introduisent directement dans l’univers du père Lacave, c’est à dire dans sa tête de poête malade: “Joy had been bound with electrical tape / In her mouth a gag / She’d been stabbed repeatedly / And stuffed into a sleeping bag...”, et ce n’est que le début, rien n’a été laissé au hasard dans ce mini-catalogue du crime en dix leçons, chaque chanson amorçant le malaise de la suivante et leurs mélodies bancales distribuant des frissons à qui n’en a pas eu son compte. Qu’est-il arrivé à Henry Lee, à Elisa Day, à Mary Bellows, aux habitants de la petite ville de Millhaven ou aux clients de l’O’Malley’s Bar ? Juste de quoi faire la une des journaux de province, et entretenir l’angoissse dans les petites bourgades du Midwest: “I’ve lived in this town for thirty years / And to no-one am I a stranger / And I put new bullets in my gun / Chamber upon chamber...” Le climat fait toujours penser au film “DeadMan” de Jim Jarmush, et aussi à ces peintures régionalistes des années 1930, notamment celle de Grant Wood, où l’on voit un vieux couple immobile dont l’homme tient une fourche, cette mystérieuse tension dans le regard... On se souviendra aussi que Nick Cave a écrit un livre “Et l’Ane vit l’Ange”, roman caverneux et desespéré dévoilant les affres d’une Amerique à la Hawthorne, décor en noir et blanc où s’enlisent des hommes aux traits ravagés, des femmes superstitieuses et des bâtards nés sous le signe du péché, personnages qui vacillent au milieu des chuchotements de haine et des incantations religieuses à la dureté inaltérable, ce même ton cru et tranché que le chanteur emploie pour pronnoncer chaque mot du début à la fin de cet album, avec à peine parfois un soupir moqueur ou un vague reniflement de lassitude, noyés dans l’écho des instruments de la troupe, les guitares de Blixa Bargeld et de Mick Harvey, le piano et l’orgue de Conway Savage, la rythmique habituelle des mauvaises graines et les vocaux effrayants du Moron Tabernacle Choir. Ajoutons à cela les invité(e)s de marque dont je parlais déjà plus haut, qui viennent illuminer de leurs petites bougies une obscurité lourde de fond d’église, même Shane Mc Gowan, l’ivrogne chanteur des Pogues, vient dégoiser sur un couplet de “Death is not the End”, rengaine signée Dylan et qui sonne ici comme le plus beau des chants d’enterrements, le requiem des pauvres, concentré d’émotion funéraire qui ramène les larmes au rang de l’indécence. La boule dans la gorge et le regard perdu dans un vide grandissant, vous n’aurez envie que de repasser l’album encore une fois, juste pour fissurer le silence et rythmer une nuit trop longue dont les heures froides se mélangent aux cendres des berceuses brûlées.
Kaptendonc- Diplomé
- Nombre de messages : 541
Localisation : partout
Date d'inscription : 17/09/2004
Re: [M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
wow... j'ai peu écouté ce disque (emprunté à la va-vite à la mediathèque il y a quelques années), mais j'en gardais un bon souvenir... quelle chronique...
maarnaden- Elève
- Nombre de messages : 393
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 04/08/2004
Re: [M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
j'écoute pas grand chose en dehors du metal mais Nick Cave et ses bad seeds en font partie... Murder Ballads est fort bon, même si c'est pas celui que j'écoute le plus mais y a de fort bon moment, j'adore O'Malleys Bar quel interprétation géniale
Cardinal-Sin- Elève
- Nombre de messages : 227
Localisation : Swiss
Date d'inscription : 04/01/2005
Re: [M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
J'ai jamais accroché aux disque de Nick Cave, de ce que j'en connais.. je préfère largement ce qu'il avait fait avec The Birthday Party.. mais je désespère pas de rentrer dans son univers un jour.. 'Let Love In' auquel j'ai eu l'occasion de jeter une oreille dernièrement pourrait peut-être changer la donne, si je me donne la peine de le réécouter ?
Møjo- Novice
- Nombre de messages : 80
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 28/08/2004
Re: [M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
Tiens Môjo t'es toujours vivant ça faisait une paye, je te signale que Nick Cave a monté un nouveau projet "Grinderman" où il renoue avec le son sale et bestial du temps de Birthday Party en pire, il y a des bonnes chroniques partout et un singe vert sur la pochette, j'ai pas encore écouté la chose mais ça viendrera 1 d'ces jours et Cave s'est laissé pousser la barbe.
Kaptendonc- Diplomé
- Nombre de messages : 541
Localisation : partout
Date d'inscription : 17/09/2004
Re: [M-E 002] Nick Cave and The Bad Seeds > Murder ballads
Ha ?
Ça peut me brancher ça, ma foi, merci !
Ça peut me brancher ça, ma foi, merci !
Møjo- Novice
- Nombre de messages : 80
Localisation : Strasbourg
Date d'inscription : 28/08/2004
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