Tom Petty

TOM PETTY
“Wildflowers”
Warner Bros.1994
Style: Rock amerloque



Allongé sur le dos à même le plancher, un flacon de Kim’Play “Super Bulles” à la main, je vide tout le contenu de mes poumons à travers le petit anneau en plastique pour expédier vers le plafond des centaines de bulles de savon que mon fils ébahi tente vainement d’attraper, de retenir, de manger, d’essayer de comprendre comment ça se fait que ça explose dès qu’on y touche. Pendant ce temps, une voix fatiguée comme moi chante: “It’s good to be king and have your own way, get a feeling of peace at the end of the day”, le genre de chanson qui réconforte autant qu’elle vous plonge dans une sorte de béate mélancolie, ce qui me fait penser que les “fleurs sauvages” du titre de cet album sont en fait des colchiques dans les prés sonnant le glas de l’été. Pourtant Tom Petty était plutôt le chantre des virées en bagnoles californiennes au mois d’août, et ses albums du genre “Damn the Torpedos” ou “Full Moon Fever” avaient plutôt tout le nécessaire pour emballer les filles de la plage, enfin pas n’importe lesquelles, celles qui avaient de bonnes oreilles surtout, et de fines boucles ambrées qui leur tombaient par-dessus et qu’elles secouaient avec ce petit rire qui vous faisait des étincelles. Mais “Wildflowers” c’est autre chose, définitivement un disque d’automne avec la pluie et tout.

Produit par Rick Rubin, oui c’est bien le mec de “Hell Awaits” de Slayer, et partiellement orchestré et dirigé par Michael Kamen, oui c’est bien le mec de l’album symphonique de Metallica, cet album à la pochette un peu batarde, photos noir-et-blanc imprimées sur papier recyclé, est sorti au crépuscule des années grunge, et c’est un Tom Petty barbu et plus inspiré que jamais qui en a composé tous les morceaux avec un gros surcroît de talent. L’atmosphère générale est à la fois moite et froide, calme et anxieuse, veloutée mais rèche par endroits, pianos et violons qui vont droit au coeur, guitares qui remuent des souvenirs enfouis comme autant de feuilles mortes sous un balai municipal. Inutile de préciser que les moments forts sont “Only a Broken heart”, “Hard On Me” et l’aigre “Crawling Back to You”, mais mon morceau préféré restera toujours “To Find a Friend” avec son minimum vital mélodique et sa puissance de chagrinage intensif dans le refrain (“And the days went by, like papers in the wind...”), car je ne connais à vrai dire guère d’équivalents dans la musique américaine du vingtième siècle, au niveau émotionnel je veux dire. La voix de Tom Petty, on l’aime ou pas, elle a traversé plusieurs décénies, depuis un premier album sorti en pleine période Punk avec ce groupe bien nommé Heartbreakers et une violence nocturne bien choisie, jusqu’aux derniers aux pochettes immaculées, remplis de sarcasmes tranquilles mais toujours bien plantés dans le terroir américain et sa culture de radio FM ("The Last DJ”), en passant par l’ovni brunâtre dont il est question ici, où les instruments triés sur le volet qui accompagnent ce timbre vocal inimitable s’entrecroisent avec exactitude et semblent autant transporter de sentiments profonds que le regard des anges sur les tableaux de Boticelli ou l’éclat des bulles de savon dans mon salon.