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Muddy Waters

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Muddy Waters Empty Muddy Waters

Message  Kaptendonc Dim 1 Juil - 0:03

MUDDY WATERS
“King Bee”

BlueSky / Epic / Legacy 1981+2004
Style ? Oui

Muddy Waters Mudwatpocwi5

S’il y a un créneau musical qui n’a vraiment pas la cote ces temps-ci, c’est bien le Blues. On trouve d’ailleurs partout des tas de CDs de ce style bradés à 3 euros (et attention pas des vieilles croutes mais des albums neufs, originaux, digitalement remastérisés pour la plupart...) comme si les fourguer au plus bas prix possible était le meilleur moyen de s’en débarrasser définitivement: allez, du balai le Blues, on n’en veut plus dans nos magasins ! Après tout, oui, qui donc a encore sincèrement envie d’entendre des vieux papys blacks déblatérer sur la densité de leur dernière gueule-de-bois, en faisant miauler des guitares aux cordes aussi lourdement usées que des clôtures de porcheries, et avec des voix qui semblent sortir tout droit des alvéoles pulmonaires d’un baril de goudron ? Personne évidemment, surtout que les gens qui achètent de la musique préfèrent s’intéresser aux juvéniles états d’âme d’un vainqueur de “La Nouvelle Star”, ou aux roucoulements lubriques de Gwen Stefani, ou à n’importe quoi qui puisse se résumer à une sonnerie de mobile téléchargeable en deux clics (hum... pas moyen de faire ça avec le Blues, voilà pourquoi le genre est banni des rayons et devient, quelle chance extraordinaire, exactement le contraire d’un produit de consommation !)

Presque gratuit et au bord de la poubelle, voici donc le Blues, avec un grand B, comme dans “Bonne route !”. Rien de meilleur en effet pour vous accompagner un bout de chemin quand le temps est à l’orage et que le monde a l’air tellement lourd et poisseux que les essuie-glaces eux-mêmes ont sombré dans une léthargie aussi profonde que les ornières de la départementale, où la pluie ne va pas tarder à y faire bouillonner des litres de “muddy waters”. Eaux boueuses, c’est bien ainsi qu’on peut traduire le patronyme de ce bon vieux géant du Blues, qui était pourtant né avec un assez joli nom: McKinley Morganfield, mais sans doute avait-il de solides raisons pour vouloir se faire appeler Mr. Eaux Boueuses (au moins il était certain de ne jamais être récupéré dans une pub pour Vittel ou Evian), en tout cas le moins qu’on puisse dire c’est que cette appellation colle parfaitement bien à sa musique: liquide épais, fort et tourbeux, comme on le dit de certains excellents vieux Whiskys, tel est en effet le blues chocolaté de ce musicien au visage plus jovial que celui d’Uncle Ben’s sur les paquets de riz incolable. L’album dont j’ai choisi de vous parler aujourd’hui est le dernier “studio” qu’il ait enregistré de son vivant, et certainement le plus abouti, c’est à dire que vraiment tout y est.

Et quand je dis que tout y es, cela veut dire TOUT ce qu’on peut espérer d’un disque de Blues, autant dans la puissance que la diversité, donc pas du tout comme certains albums du même type qui procurent la nette impression d’entendre douze fois le même morceau, à deux paroles près, et avec un son de couvercles de casseroles et de poêles à frire enregistré sur une table de mixage de 1914 avec des grille-pains en guise de micros. Non, au moins ici on a la certitude d’être entré dans la seconde partie du 20ème siècle et d’être en présence de gars qui s’y connaissent au niveau production, en l’occurence Johnny Winter himself, white bluesman légendaire dont il faudra que je vous reparle un de ces quatre. Crédité aussi en tant que guitariste, notre vieil ami albinos est presque autant présent sur cet album que sur les siens propres, on reconnait bien sa verve blueso-gratteuse au travers de certains titres notamment quand il fait péter la slide. Et ce qui s’entend aussi, c’est les musiciens en train de se fendre la gueule à la fin de chaque morceau.

Le Blues, musique triste ? Lieu commun dont il faudrait se débarrasser au plus vite. Avec le père Muddy on rigole et on y va relax pour envoyer la sauce, mais les doigts bien calés sur la note de départ et tout le monde enchaîne: Bom-bo-bo-bo-bom-bo-bom-bo-bom, bo-bo-bo-bo-bo-bo-bo-bom, la rythmique est surprenante, la basse énorme, la batterie discrète mais métronomique, les soli émergent et grimpent illuminés comme des feux d’artifices éclairant la nuit, la nuit bleue infinie du Blues. “I woke up this morning...” quand un morceau commence comme ça, on peut déjà être sûr qu’il va y avoir de l’harmonica, et du bon, même pour ceux que cet instrument rebute. Quelques touches de piano par ci par là embellissent également certains titres, mais ce sont surtout les guitares qui se font entendre avec beaucoup de précision de tous les côtés: pas moins de quatre manches, tenus par Luther Johnson, Bob Margolin, Johnny Winter, et Muddy Waters lui-même, dont la technique est à l’image de la légende qu’il représente, n’oublions pas qu’il fut le premier, dans les fifties, à instaurer le son de ce qu’on appellera plus tard le Chicago Blues, avec les suiveurs notoires que l’on connaît (Otis Rush, Buddy Guy, Junior Wells, Lefty Dizz...etc etc)

Sur la pochette de “King Bee”, nous voyons Muddy assis sur un trône, et coiffé non pas d’une couronne mais d’une simple casquette de cheminot, on reconnait bien là l’humilité du bonhomme. Au verso du livret, c’est un Waters plus familial que nous découvrons, puisqu’il est entouré de ses enfants et petits enfants, une dizaine de personnes au total, souriant de toutes leurs dents au milieu d’une salle à manger au papier-peint aussi généreusement fleuri que le tapis et la nappe de la table. Cette chaleur conviviale est omniprésente sur tout l’album, aussi bien dans les titres rapides qui flirtent avec le boogie (“I’m a King Bee”, “Mean Old Frisco Blues”, “Deep Down in Florida”, “I won’t go on”...) que dans les vrais blues lents aux thèmes plus psychologiques (“Sad sad Day”, “Clouds in my Heart”...), et la voix de Muddy Waters est toujours bien posée, ferme et sûre, avec dans le fond un côté triste qui rappelle un peu au cinéma la voix de l’acteur Morgan Freeman si vous voyez qui je veux dire. En tout cas il n’y a pas le moindre moment d’ennui dans cet album, et l’on peut sans hésiter le relancer au début dès qu’il a fini de tourner. Un mot encore en ce qui concerne la chanson titre de l’album, il s’agit d’un “classique” du Blues, popularisé par Slim Harpo et repris notamment par les Rolling Stones, les Doors et les Blues Brothers. Inutile de préciser que la version ici présente est la meilleure de toutes. Le morceau est tellement bien interprété qu’on en oublie presque les lyrics un brin naturalistes mais au contenu sexuel évident (il y est question de “butinage” et de “laisse-moi entrer dans ta ruche et tu sentiras couler mon miel”) Voilà au moins quelqu’un qui n’avait pas honte de chanter ça à soixante-six balais.

J’ajoute qu’il y a en milieu d’album un morceau complètement démentiel, halluciné, hendrixien, monstre, intitulé “My eyes keep me in trouble”, où l’on a l’impression que tout s’emballe et se met à tourner comme un manège de fête foraine, ça ne s’arrête plus et on est presque en droit de se demander s’ils n’ont pas consommé quelques substances illicites dans ce studio de Chicago où le groupe est resté enfermé trois jours pour pondre cet album. En fait le morceau ne dure que trois minutes mais j’imagine ce qu’il aurait pu donner en concert, par exemple au Bayou Club de Washington, où Muddy jouait encore peu de temps avant de casser sa pipe et de commencer lentement à pourrir dans la terre noire d’un cimetière de l’Illinois. Dieu ait son âme.
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