Ganafoul

GANAFOUL
“Full Speed Ahead”
E.C.O. 1978 (vinyl 33t)
Reéditions CD: Spalax 1994, Brennus 2005
Style: Blues Rock frenchy culte



C’était il y a très longtemps, notre pays était dirigé par un dénommé Giscard d’Estaing et son premier ministre le gros Raymond Barre. Dans les rues circulaient à soixante à l’heure des véhicules anguleux qu’on appelait DS, 4L, R8, Ami 6 ou Simca 1000. On s’ennuyait dans les banlieues, surtout au sud industriel de l’aglomération lyonnaise, à l’intersection de l’A7 et de l’A42, près d’un canal pollué par les miasmes de la sidérurgie. C’est sur ce terrain propice à la culture du Blues le plus calorifère que s’est formé le groupe Ganafoul, (d’abord un quatuor, puis un trio) qui en quelques brèves années a fini par devenir une éphémère légende de la scène Blues-Rock héxagonale, avant de disparaître subitement au début des années quatre-vingt. Laissant derrière eux cinq albums et, pour les veinards qui les ont vus, de mémorables souvenirs de concerts (1ère partie d’AC/DC en 1979), les stakanovistes fous de Ganafoul ont eu le mérite d’imposer un style musical allant à l’encontre des tendances de l’époque (Disco à paillettes, puis émergence du Punk et de la New Wave à l’anglaise), à peine soutenus par une presse Rock encore balbutiante (Best, Rock’n’Folk) qui les mettait dans le même sac que Bijou, Téléphone, Shaking Street ou Little Bob Story, et par un public motivé par le bouche à oreille bien plus que par une promo inexistante, autant dire qu’il n’y avait pas gros à parier sur leurs chances de survie, surtout à cette période charnière de l’histoire du Rock.

S’il y a un album a retenir de leur discographie, c’est bien ce “Full Speed Ahead”, le 2ème chronologiquement, où le groupe en est déjà au stade de la maturité comme on dit, ayant réussi à équilibrer parfaitement les résidus d’influences classiques (Chuck Berry, Rolling Stones, Status Quo) et l’affirmation d'un son nouveau et d’une manière de jouer vraiment carractéristique, à la fois crue et brillante, brutale et acérée, sans concessions et sans trop de fioritures. Dès le premier titre, “Full Speed Ahead” et son refrain à pulvériser les mouches en plein vol, on est surpris par la puissance énergétique de l’ensemble, et paradoxalement par l’économie de moyens déployés, ou plutôt le parfait équilibre entre les instruments: la basse a l’air de faire le minimum syndical tout en explosant le volume, tandis que la batterie surrenchérit à fond les baguettes, et que la guitare carbure au kérosène et ramone des soli fumeux et noirs de suie. Quant à la voix (de Jean-Yves Astier, le bassiste) elle reste sans doute un des principaux atout du groupe,on dirait parfois Dave Mustaine, je sais que la comparaison est bizarre, et pourtant il y a chez Ganafoul quelque chose comme si Megadeth jouait du Blues. Les autres morceaux sont tout aussi puissants et compacts, virant tantôt vers un booggie bien boulonné (“Nothing More”, “Rock Gutter”) ou vers un audacieux ralentissement du tempo (la ballade “Trying So Hard” ou la reprise du standard “I’m a King Bee”, plutôt chaud et bourré de trouvailles pour distancier l’original), et finissant sur un Rock’n’Roll bitumeux bien calibré pour bouffer le reste de route (“Far from Town”).

Album périphérique du samedi soir en banlieue, “Full Speed Ahead” mérite vraiment d’être découvert par les métalleux un minimum éclectiques autant que par les amateurs de sons seventies (de AC/DC à ZZ Top en passant par Lynnyrd Skynnyrd et Whitesnake, sans oublier les grands noms du blues-rock tels George Thorogood and the destroyers ou Johnny Winter), et saluons ici l’initiative du label Brennus d’avoir assuré la reédition de toute la discographie de Ganafoul, ce qui me semble plus judicieux que de signer à tour de bras des combos de french Metal débutants et à des années-lumière d’arriver au top (non non, je ne citerai pas de noms). En tout cas, si avec l’arrivée des beaux jours, vous êtes comme moi interpellé par des sons chauds et ronds, pointus et chromés, vrombissants et sauvages, plutôt que par une froideur atmosphérico-cadavérique, vous risquez d’avoir une bonne surprise en partant à la découverte de ce petit trio “bien d’chez nous”, qui a ravagé les routes nationales il y a plus d’un quart de siècle, en y incrustant ses marques encore brûlantes et fruticuleuses.

PS: z'avaient même un look presque thrash avant l'heure...