vivantes visions de l'europe

STRATOVARIUS
“Live - Visions of Europe”
Noise 1998
Style: Heavy speed mélodique




La seule fois où j’ai vu Stratovarius en concert, je me trouvais à côté d’un fan allemand dont l’alarmante obésité faisait craquer la moitié des coutures d’un T-shirt XXL fraîchement déballé du stand de merchandising, et sur lequel dégoulinait la graisse de la saucisse de son sandwich, accompagnée de giclées de moutarde d’un jaune fluorescent. Par ailleurs, au cours de longs mois de labeur assidu, il avait dû apprendre par coeur tous les lyrics du groupe, car entre deux copieuses bouchées de sandwich, il n’arrêtait pas de chanter d’une voix de stentor, pas toujours très juste et avec un temps de décalage, à quelques centimètres de mon oreille droite. Bien sûr cela m’incommodait suffisemment pour que j’envisage de lui coller une beigne avant la fin du troisième morceau, mais en estimant que je ne faisais même pas la moitié du poids de ce gars-là, et en supposant qu’il lui prendrait l’envie toute naturelle de riposter, par exemple en se renversant sur moi et en m’étouffant de sa masse, façon lutteur de sumo, j’ai préféré laisser tomber, c’est à dire subir sans broncher l’horrible cacophonie provoquée par la superposition de sa voix discordante avec celle de Timo Kotipelto, ce qui fut plutôt une épreuve à ranger parmi celles dont je me serais bien passé dans ma vie. D’un autre côté, cela m’a fait pleinement prendre conscience que la plupart des morceaux de Stratovarius sont fait pour être chantés, ou pluôt entonnés en choeur, puisque le gros patapouf n’était pas le seul à pousser sa chansonnette ce jour-là, il y en avait bien trois mille qui devaient l’imiter aux alentours.

Et on en entend au moins quinze fois davantage tout au long de cet album, enregistré en Grèce et en Italie, c’est à dire là où apparemment cette catégorie de groupes a trouvé son meilleur public (d’ailleurs Iced Earth a enregistré son Live également à Athènes, ce n’est sans doute pas pour rien). Voici donc un album débordant de Oooohoooohhooooh et de whaaaahaaaahaaaa qui accompagnent non seulement les parties chantées, mais aussi les chorus de guitare, les soli de clavier, enfin TOUT pour ainsi dire, ces grecs et ces italiens n’arrêtant pas de claironner leur joie de vivre, leur amour de la musique et des spectacles vivants, qui remonte sûrement à l’antiquité (le nom de Stratovarius ressemble à un mot latin, donc ça doit leur plaire). En tout cas, lors de cette tournée, le groupe était au meilleur de sa forme et pour ainsi dire au sommet de sa gloire, et la plupart des morceaux de “Fourth Dimension”, “Episode” et “Visions” résonnaient dans la tête de tous ceux qui avaient eu l’occasion de jeter une oreille même distraite sur ces albums. Les versions Live de ces titres auraient du mal à ne pas être encore meilleures, ce qui est bien le cas ici, et même si la batterie est mixée un peu trop en avant, même si la guitare a un son un peu trop cru, ou même si la voix est parfois légèrement à l’Ouest, ce qui compte surtout c’est l’ambiance, et elle est bien là, suffisamment forte pour permettre à cet album de se ranger en bonne place parmi les grands albums Live de l’histoire, dans le prolongement du “Tokyo Tapes” de Scorpions, “Live and Dangerous” de Thin Lizzy, ou “Strangers In The Night” d’UFO. Il y a même un solo de batterie, qui n’apporte rien mais qui est là comme un immuable rituel, accompli à la perfection par un Jorg Michael acclamé avec autant d’entrain que les deux Timo. La ballade “Forever”, chantée par la foule a capella est un grand moment aussi, où l’on imagine des milliers de briquets allumés au choeur de la nuit. L'aspect “vivant”, éphémère et spontanné est donc flagrant, jusqu’à la pochette qui, à l’opposé des artworks sophistiqués des albums studio, donne une image vraiment sincère de Stratovarius en tournée: cette photo un peu floue aux tons orangés, prise en vitesse peut-être par un fan au premier rang, nous montre un groupe épuisé mais heureux, et la bonne humeur générale ne semble pas le moins du monde factice. Je viens de redécouvrir cet album presque par hasard, et c’est avec un peu de nostalgie que je l’écoute en me rappelant cette époque pas si lointaine où j’avais encore le temps et l'énergie de courir les festivals avec autant de curiosité musicale que d'insouciance totale. Maintenant, hum, j’ai un peu vieilli, mais cet album non.